Si nous devions considérer le monde comme un puits d’où tirer des sujets de type bac, peut-être pourrions-nous reprendre une interrogation scolaire et nous demander si, par exemple, la littérature a pour mission de défendre des causes.
Mission, cause, les termes sont vagues mais nous ressaisissons, voire ressuscitons, des noms puisés du fond de notre mémoire. Nous pourrions citer Voltaire, Aragon, Camus. Nous connaissons l’engagement des auteurs contre, pour, avec. Nous avons suivi historiquement et scolairement ou passionnément leurs combats, leurs luttes, leurs théories.
Si nous devions considérer la littérature comme un sacerdoce avec une mission ou une cause à défendre, peut-être devrions-nous l’envisager aussi au-delà du devoir littéraire comme réflexion, entre métaphore et gradation, reprise et amplification. Scolastique, rhétorique, que sa forme soit moderne, ancienne, son appui théorique ou de refus, elle construit un imaginaire au regard du réel mais reconstruit aussi une réalité dans le déni de mémoire.
Si nous devions considérer une littérature comme force de vie ou de mémoire, ce serait en reposant la voix de Jorge Semprun : L’écriture ou la vie, dans les camps de concentration, pour un jeune homme de 20 ans. Près d’un ancien professeur en train de mourir, ne sachant que dire, comment l’accompagner, il décline, en guise de Kaddish, un poème de Baudelaire, Le voyage. Commune mémoire du poétique, celle de la fraternité, de l’approche de la mort que la poésie semble intuitivement accompagner depuis ses débuts et jusque dans sa naissance. Autre douleur, autre mort, autre prisonnier, et dans les mêmes circonstances, ce sera un poème de Vallejo qui sera récité. Langage de poésie, langage d’humanité, langage d’unité pour ces prisonniers qui, lorsque les bibliothèques des camps étaient fermées, se rappelaient mutuellement des poèmes. Comment faire autrement : « Somme toute, ça n’avait rien de surprenant que la mort parlât yiddish. Voilà une langue qu’elle avait bien été forcée d’apprendre, ces dernières années. Si tant qu’elle ne l’eût pas toujours sue. » [1]
Si la littérature avait pour mission de se défendre, de nous défendre, contre l’oubli, ce serait sans doute la voix de Jorge Semprun qu’elle emprunterait : « Semprun (…) a composé une œuvre d’art, où l’on oublie jamais que Weimar, la petite ville de Goethe, n’est qu’à quelques pas de Buchenwald. » [2]
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Source : Jorge Semprun, à La Comédie du livre de Montpellier, 23 mai 2009
Auteur : Dinkley
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